Bloc-notes de Sylvain

Cartes postales anciennes et droit d'auteur

Lorsque l'on cherche à illustrer le passé, la carte postale est un support qui ressort en priorité. Si l'on considère que l'éditeur Combir Imprimeur Mâcon (CIM) a publié 10 millions de clichés différents et que l'on étend au nombre d'éditeurs de cartes postales (même si la plupart étaient de petits éditeurs) qu'a connu la France, c'est un gisement quasi-inépuisable qui s'offre à nous, même sur les sujets les plus anecdotiques (qui penserait qu'on puisse atteindre près de 4000 pièces en collectionnant les CP représentant des iris !).

Les réutilisations existent et sont nombreuses : près de 100 ouvrages comportent la mention "à travers les cartes postales" dans leur titre dans le catalogue nationale des bibliothèques universitaires, plus de 130 contiennent "en cartes postales", bref les exemples abondent. Mais tout n'est pas forcément toujours très clair au niveau du droit d'auteur. Mais est-ce seulement possible de réutiliser proprement ces contenus sans risquer de poursuites ?

En effet, si certains photographes ont pu se faire un nom (les frères Neurdein au XIXème siècle, Pierre-Yves Petit dit Yvon au XXème ou encore Serge Lamour au XXIème siècle), la plupart des auteurs de cartes postales sont restées méconnus, rendant difficile la connaissance de leur date de mort et par conséquent la date d'entrée dans le domaine public des clichés (en théorie 70 ans après la mort du photographe).

L'exemple d'un éditeur de Haute-Loire : Margerit-Brémond

En cherchant à me renseigner sur le sujet, je suis tombé sur un exemple qui me semble assez emblématique, celui de la maison d'édition Margerit-Brémond, active en Haute-Loire depuis le début du XXème siècle. Cette maison d'édition aurait pu tomber dans l'oubli comme de nombreuses d'autres mais les rachats successifs de son fonds ont générés de l'activité autour de la société jusqu'à récemment.

Le contexte

Derrière le nom de cet éditeur se cachent deux personnes : Pierre Margerit-Brémond (ou Jean-Pierre selon certaines sources), le père, né le 1er juin 1866 et mort le 22 juin 1949, et son fils Léon qui meurt en 1987 sans héritiers connus.

Cette organisation familiale est à l'origine de complications juridiques pour les réutilisations. En effet, si la production du père est entrée dans le domaine public le 1er janvier 2020 (1949 + 70 = 2019, donc au 1er janvier de l'année suivante), pour le fils, il faudra attendre le 1er janvier 2058 (1987 + 70 + 1).

La maison d'édition est fondée en 1900 par le père puis reprise par le fils vers 1912 ou plus vraisemblablement en 1936. D'après La Montagne, ce dernier vend les fonds de l'entreprise à Louis Rocher qui les revendra lui-même en 1981 à Jacques Pastre. Ce dernier exploite les fonds à travers l'établissement Pastre. En 2018, la société DB2V nouvellement créée rachète les fonds.

Gestion des droits d'auteur

En 2007

On trouve sur legifrance une première trace de contestation des droits d'auteurs de cet éditeur dans un arrêt de la cour d'appel de Riom daté de 2007 qui fait suite à un jugement du 30 novembre 2005 traitant d'une affaire opposant les éditions Pastre alors titulaire du fonds à la maison d'édition De Borée. L'objet du litige est un ouvrage de 2003 : La Haute-Loire, 1900-1920. Si l'on en croit le jugement, l'ouvrage contenait 54 cartes postales des éditions Margerit-Brémond que les éditions De Borée avaient utilisées sans demander d'autorisation aux éditions Pastre. À cette date, les deux photographes sont morts depuis moins de 70 ans, le tribunal conclut donc que leurs œuvres sont protégées et considère que Pastre ayant obtenu le fonds en "ligne directe" de cessions depuis la maison d'édition originelle est titulaire du contrat d'édition de ces documents. L'entreprise a donc toute légitimité à protéger son fonds et la cour d'appel confirme le jugement qui enjoint les édition de Borée à cesser la diffusion de l'ouvrage et à payer 2000€ aux éditions Pastre et fils.

Jusqu'ici pas de soucis, tout semble légitime.

En 2021

En 2021, plusieurs vendeurs de cartes postales proposant leurs produits sur le site d'enchères Delcampe ont vu leurs annonces supprimées comme on peut le voir dans ce fil de discussion du forum des vendeurs démarré en juillet 2021 (ou celui-ci). D'après les premiers messages les suppressions concernent l'ensemble des cartes, y-compris des cartes publiées alors que le fils (le seul qui soit encore couvert par le droit d'auteur) était tout juste né. Le message qui a alors été envoyé aux vendeurs et repris dans ce message du forum CPArama est assez englobant : "La mise en vente d'objets portant les marques "Margit Bremond" et "Editions Pastre" est interdite sur le site suite à la demande des titulaires de ces marques.".

Ce n'est qu'en décembre qu'un message plus explicite est apporté par Delcampe sur le fil de discussion initial de leur forum et qui précise bien que seules les cartes du père Pierre peuvent être remises à la vente mais que toute œuvre du fils est interdite sur le site. La situation est donc désormais assez claire et conforme aux règles du droit mais il aura fallu plusieurs pages de discussions et d'argumentation opiniâtre des vendeurs pour obtenir ces explications plus détaillées.

Et à l'heure où j'écris ces lignes, le site de l'éditeur, titulaire des droits pour les œuvres du fils donc reste assez flou

Où trouver ces cartes ?

Malgré les limites posées à la diffusion, de nombreux sites proposent les cartes de cet éditeur :

  • Parmi les plus de 5000 cartes postales proposées sur les site des archives départementales de la Haute-Loire, nombreuses sont celles contenant le sceau MB de l'éditeur;
  • On trouve une petite dizaine de cartes dans la catégorie dédiée sur Wikimédia Commons;
  • À l'heure où j'écris cet article, on trouve plus de 700 cartes ayant été vendues sur Delcampe;